Les encres métallo-galliques, utilisées depuis des siècles, sont célèbres pour leur durabilité et la profondeur de leur noir. Ces encres ont été le choix privilégié pour les manuscrits médiévaux, les documents historiques et les œuvres d'art. Dans cet article, nous explorerons l'histoire, la composition, la fabrication et les utilisations des encres métallo-galliques.
1. Histoire des Encres Métallo-galliques
Les encres métallo-galliques remontent à l'Antiquité, mais elles ont gagné en popularité durant le Moyen Âge et la Renaissance. Elles étaient largement utilisées par les moines copistes, les artistes et les écrivains pour la rédaction de manuscrits et de documents officiels.
Les encres métallo-galliques sont connues pour leur capacité à rester lisibles pendant des siècles, même sur des supports fragiles comme le parchemin.
Origines et Évolution
Égypte Antique : Utilisées dès le IIe siècle avant notre ère, ces encres ont été retrouvées sur des papyrus datant de l'époque pharaonique.
Monde Arabe : Elles apparaissent à partir du 9e siècle, où elles sont adoptées pour la transcription de manuscrits.
Europe : Introduites au 12e siècle, elles deviennent rapidement l'encre de choix dans les scriptoriums, les lieux de copie et de transcription, jusqu'à l'invention de l'imprimerie en 1454.
Les essais de Montaigne, par exemple, sont écrits à l'encre métallo-gallique. De nombreux dessins de la Renaissance, y compris ceux de Rembrandt au 17e siècle, utilisent cette encre. Jusqu'au 19e siècle, l'encre métallo-gallique reste la plus courante pour l'écriture et le dessin.
Très fluide et indélébile, cette encre était particulièrement prisée pour les écritures officielles, elle est notamment connue sous le nom de « l'encre de l'état civil » au XIXe siècle. Les résidus issus de la filtration (une boue noire) servaient quant à eux au marquage des emballages militaires et des tonneaux.
Transition Vers la Chimie Moderne
À partir de 1850, avec l'avènement de la chimie organique, les encres commencent à incorporer des colorants chimiques, marquant un tournant dans la production et l'utilisation des encres.
2. Fabriquer des Encres métallo-galliques
RECETTE SIMPLIFIÉE (à expérimenter et adapter selon vos besoins) :
1. Réduire une cuillère à soupe d’extrait de noix de galle dans une tasse d’eau frémissante
2. Ajouter une cuillère à café de sulfate de fer
3. Épaissir avec la gomme arabique. L’enjeu est de réduire le mélange au feu pour le noircir, le densifier.
RECETTE TRADITIONNELLE
Ingrédients :
100g de noix de galle (entières ou broyées)
25g de sulfate de fer
15g de gomme arabique
1/2l d'eau
1. Écraser 100 grammes de galles, verser la poudre dans 1/2 litre d’eau distillée et laisser reposer 24 à 48 heures pour permettre à l'acide gallique de se libérer. Ajouter trois clous de girofle dans la solution (ils libéreront leur essence durant l’ébullition et éviteront le développement de moisissures).
2. Porter à ébullition et laisser bouillir doucement durant 1 heure. Le volume se réduit d’un tiers environ. Rajouter de l’eau pour retrouver le volume initial d’un demi-litre.
3. Filtrer sur un tissu fin, une étamine.
4. Ajoutez la gomme arabique progressivement en remuant jusqu'à dissolution complète. Cela permettra de stabiliser l'encre et d'améliorer son adhérence au papier
5. Verser 25 grammes de sulfate de fer en pluie dans le mélange. Il noircit immédiatement. Brasser.
6. Il est possible d’ajouter une cuillère à café de sucre de canne pour obtenir un aspect luisant
7. Filtrer sur tissu et laisser reposer l’encre durant quelques jours. Filtrer éventuellement une seconde fois en cas de dépôt et mettre en bouteille. Transférez et conservez l'encre dans une bouteille hermétiquement fermée, idéalement à l’abri de la lumière. Secouez bien avant chaque utilisation.
Précautions :
Il est recommandé de bien rincer le pinceau après utilisation pour prévenir son encrassement, car les résidus d'encre peuvent durcir et endommager les poils du pinceau. Enfin, manipulez le sulfate de fer avec soin, en portant des gants ou en évitant son contact direct avec la peau.
2. Biologie : comprendre les Galles de Chêne
Les galles, en particulier les galles de chêne, jouent un rôle crucial dans la fabrication des encres métallo-galliques. Mais que sont-elles exactement et comment se forment-elles ?
Qu'est-ce qu'une Galle ?
Une galle est une excroissance sur les plantes causée par divers organismes, tels que des insectes, des acariens, des champignons ou des bactéries. Ces excroissances peuvent apparaître sur les feuilles ou les tiges des plantes. Les galles de chêne sont parmi les plus couramment utilisées pour la fabrication des encres métallo-galliques en raison de leur richesse en acide gallique et en tanins.
Formation des Galles de Chêne
La formation des galles de chêne est un processus fascinant impliquant une interaction complexe entre le chêne et certains insectes, principalement de petites guêpes appelées cynipidés.
Ponte des Œufs : Les guêpes femelles cynipidés pondent leurs œufs à l'intérieur des tissus du chêne, généralement sur les feuilles ou les rameaux.
Réaction de l'Arbre : En réaction à cette intrusion, le chêne commence à produire des cellules autour des œufs, formant une excroissance protectrice : la galle. Cette excroissance fournit un abri pour les larves de guêpes.
Développement des Larves : À l'intérieur de la galle, la larve de guêpe se développe en se nourrissant des tissus nutritifs de la galle. Cette structure la protège des prédateurs et des conditions extérieures.
Maturation et Émergence : Une fois que les larves se transforment en adultes, elles émergent de la galle en perçant un trou. La galle, désormais vide, reste sur l'arbre et peut alors être récoltée.
Utilisation des Galles de Chêne
Les galles de chêne sont particulièrement prisées pour la fabrication des encres métallo-galliques en raison de leur forte concentration en acide gallique et en tanins. Ces composés chimiques sont essentiels pour la réaction avec le sulfate de fer, produisant ainsi une encre de couleur noire profonde et durable.
Récolte des Galles
Les galles de chêne peuvent être récoltées directement sur les arbres ou collectées après être tombées au sol. Une fois récoltées, elles sont séchées et broyées pour être utilisées dans la fabrication d'encres.
Importance Écologique
Il est intéressant de noter que les galles jouent également un rôle écologique important. Elles offrent un habitat et une source de nourriture pour diverses espèces d'insectes et contribuent à la biodiversité des écosystèmes.
4. Utilisations
Les encres métallo-galliques existent sous de nombreuses variantes, chaque recette pouvant donner un rendu différent. Par exemple, l'ajout de sucre peut apporter un effet brillant, et la texture et l'épaisseur de l'encre peuvent également être ajustées en fonction de l'usage souhaité, notamment à l'aide de gomme arabique.
Elles sont idéales pour divers usages artistiques :
Manuscrits et Documents historiques : Elles offrent une durabilité exceptionnelle pour les manuscrits.
Dessin et Illustration : Leur profondeur de teinte et leur permanence en font un choix privilégié.
Teinture : La poudre de galles de chêne est également utilisée pour la teinture des tissus, parfois avec des réactifs ferreux pour obtenir des teintes noires.
Calligraphie : Les encres métallo-galliques sont parfaites pour la calligraphie traditionnelle, offrant une belle fluidité et un noir intense.
Bon à savoir : Lorsque l’on écrit ou applique l'encre avec un pinceau, l’encre a tout d’abord une teinte violette qui se noircit rapidement. Les effets de transparences, à priori tentants à première vue, ne sont donc en fait que temporaires. Pour des usages graphiques et illustratifs, l'encre métallo-gallique est ainsi plutôt utilisée pour la profondeur de son noir, un peu à la manière de l'encre de Chine. L'acide gallique et le sulfate de fer présents dans l'encre réagissent en effet avec l'oxygène de l'air. Cette réaction à trois composants crée un précipité de sels de fer noirs et insolubles, qui confère à l’encre son noir profond caractéristique après quelques minutes après application sur le papier.
Bibliographie / Sources :
Elisabeth Dumont. Encres de plantes. (Ulmer, 2018)
F.Perego. Dictionnaire des matériaux du peintre. (2005, Paris)
De Keghel. Les encres, les cirages et les colles. (Paris, 1927).
Champour et Malepeyre. Nouveau manuel complet de la fabrication des encres de toutes sortes. Manuel Roret. (Paris, 1895).
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